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Explosion de la consommation de cigarettes électroniques jetables : des chiffres affolants et un cri d’alarme !

Depuis leur apparition, les cigarettes électroniques jetables sont en train de modifier complètement le marché de la consommation de la nicotine et leurs ventes connaissent une croissance exponentielle: l’augmentation des ventes pourrait atteindre en 2022 le 2’200% ! Chez les jeunes la consommation de ces produits continuer de se répandre massivement de manière invisible et dangereuse. Non seulement notre cadre juridique est complètement en retard, mais nos politiques de santé publiques sont totalement inadaptés pour faire face à ces évolutions très rapides.

par Luciano Ruggia

Une jungle de produits divers

Les cigarettes électroniques (Electronic Nicotine Delivery System ou ENDS) sont des dispositifs très hétérogènes, autant pour ce qui est du dispositif proprement dit, que pour les e-liquides qu’ils contiennent, soit les mélanges chimiques contenant de la nicotine chauffés à très haute température pour créer des aérosols (le terme souvent utilisé de « vapeur » est trompeur, car ces liquides ne contiennent que des pourcentages négligeables d’eau, soit moins du 5%). Il est donc faux de se référer à ces produits de manière uniforme. Plus encore que d’hétérogénéité dans cette classe de produits, il faudrait parler de véritable jungle et chaos. La majorité de leur production, soit plus du 95%, provient de Chine.

Une catégorie particulière de ENDS est apparue sur le marché en 2019, soit les cigarettes électroniques jetables (voir fiche d’information «Puff Bar») souvent connue sous le nom de la première marque à être apparue sur le marché, soit la Puff Bar. [i] Depuis leur première apparition, ces produits présentes des évolutions inquiétantes, notamment une grande variété d’arômes, des compositions chimiques non-transparentes (et importées sans aucun contrôle), l’introduction de la nicotine synthétique (aucune étude sur les conséquences sur la santé n’est disponible sur cette forme de nicotine). Ces produits connaissent aussi une diversification extrême : sur un site chinois de vente en ligne en gros nous avons répertorié 404,140 types de cigarettes électroniques jetables en provenance de 40,414 producteurs et fournisseurs. [ii]

Cadre règlementaire défaillant

En Suisse, les cigarettes électroniques ne sont soumises quasiment à aucune réglementation ni à aucun contrôle. Ces produits sont en vente libre, sinon pratiquement sauvage. Il n’existe encore aucune interdiction de vente aux mineurs de 18 ans au niveau fédéral, comme d’ailleurs pour le tabac non plus. Elle sera introduite avec la nouvelle Loi sur les produits du tabac (LPTab) dont l’entrée en vigueur est prévue mi-2023, après des années d’attentes et de vide juridiques. Entretemps, les Cantons sont intervenus, mais seulement une poigné de Cantons, essentiellement romands, ont interdit la vente des cigarettes électroniques aux mineurs.[iii] Toutefois, comme c’est déjà le cas pour les cigarettes, une interdiction de vente sur le papier n’est de loin pas suffisante à limiter l’accès à ces produits aux mineurs. Une des seules réglementations auxquelles les ENDS jetables sont soumises est la limitation de 20 mg/ml de concentration de nicotine dans les e-liquides (ce qui est déjà un dosage considéré comme fort), selon une normatives européenne, toutefois cela est loin d’être toujours respecté et nous avons pu acquérir soit sur internet soit dans des magasins, des produits avec des concentration de 50 ou 60 mg/ml.

Les ENDS, et en particulier les ENDS jetables, sont disponibles facilement, notamment dans un grand nombre de sites de ventes sur internet qui ne pratiquent souvent aucun contrôle d’âge (et qui livrent directement à la maison dans des enveloppes anonymes), mais aussi dans des magasins et des kiosques, à des prix très bon marché, en comparaison à tout autres produits contenant de la nicotine. [iv]Rappelons encore que ces produits ne font l’objet d’aucune taxation et même avec la nouvelle taxation des produits du tabac et de la nicotine à venir, leur taxation restera, au mieux, négligeable et n’aura probablement aucun impact sur les ventes. Pour un vendeur, les bénéfices peuvent être très juteux. Un exemple : la Elf Bar Blue Razz Lemonade 2500 puffs est vendue sur un site suisse de vente en ligne pour le prix de CHF 19,90. Ou, sur un site chinois de vente en gros, ce même produit peut être acheté pour un prix allant de 0,50 US$ pour de petites quantités (mois de 50 pièces) jusqu’à 0,01 US$ pour plus de 20'000 pièces. L’avantage pour le revendeur suisse c’est qu’il peut acheter directement chez le producteur chinois, à la différence des produits du tabac, où les circuits de distribution sont sous le contrôle des multinationales ou des chaines de grands magasin (Coop, Denner, Valora).

La situation aujourd’hui est telle que pratiquement n’importe qui peut se procurer très facilement des ENDS jetables n’importe quand et n’importe où, à des prix imbattables.

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Rayon de vente avec des ENDS jetables (Source : REUTERS/Arriana Mclymore)

L’explosion des ventes

En Suisse, nous ne disposons d’aucune statistique sur les ventes de ENDS. Pour les cigarettes, qui sont taxées, et sur lesquelles sont perçues des taxes, nous savons que le nombre de pièces vendue à augmenté du 4% en 2020 par rapport à 2019 (et cela malgré la présence sur le marché de toute sorte de produits dits « alternatifs »).[v]

Aux Etats-Unis, l’explosion des ventes c’est une réalité, d’après des analyses publiées en août 2022. Ces nouveaux produits ne représentaient que le 2% des ventes de ENDS en 2019, alors qu’aujourd’hui elles représentent un tiers de ce marché et qu’elles ont déjà dépassé les 2 US$ milliards de ventes. Toutefois, ces données pourraient n’être que sous-estimation massive des ventes réelles, car un producteur, Esco Bar, a déclaré que ces ventes seraient de 300 US$ millions, et non pas de 82 US$ millions comme pris en compte dans l’estimation citée par Reuters.[vi]

Même en l’absence de toute statistique officielle, la Suisse semble suivre exactement la même direction. Dans un article récent, le président de la Swiss Vape Trade Association a déclaré que depuis le début de l’année 2022, les ventes de ENDS jetables augmentent de 30% chaque mois et qu’elles représentent déjà le 30% du marché total des ENDS. [vii] Nous n’avons pas raisons de ne pas croire les propos du président de cette association professionnelle, toutefois cela signifie que si le rythme d’augmentation mensuel se maintien jusqu’à la fin de l’année, nous aurons connu une augmentation de ventes de ces produits de plus du 2’200% pour l’année 2022 !

Si la part de vente des ENDS jetables augmente, elles ne sont pas seulement en train de remplacer des parts de marché des ENDS classiques (les systèmes ouverts de type MODS), mais elles sont en train de massivement conquérir de nouveaux consommateurs en particulier chez les jeunes.

Des conséquences sur la santé

Même parmi les acteurs de la santé publique, beaucoup considérément les ENDS comme moins dangereuses que les cigarettes traditionnelles. Il est vrai que le potentiel de substances toxiques du tabac de ces produits est apparemment inférieur à celui des cigarettes traditionnelles contenant du tabac, mais les ENDS contiennent de nombreuses autres substances toxiques qui ne sont pas présentes dans la fumée de tabac, et les conséquences de la nicotine sur les jeunes peuvent être grave. [viii]Il faut déjà souligner que ces produits ne peuvent en aucun cas être considérés sans dangers et que leur potentiel addictif en particulier chez les jeunes est très important.

Il nous manque encore du recul afin de pouvoir mieux comprendre les risques que ces produits comportent, en particulier l’utilisation de la nicotine synthétique présente dans la majorité des ENDS jetables. Des cas récents nous montrent toutefois que ces produits peuvent réellement avoir des conséquences graves sur la santé, tels que le déclanchement de crises d’épilepsie [ix], voir mortelles, en cas de complications pulmonaires. [x]

Un système de surveillance défaillant et des politiques dépassées

En Suisse, le système de surveillance n’est en mesure de fournir aucune donnée valable concernant les prévalences de la consommation de ces produits chez les jeunes, ni de leurs habitudes et modes de consommation. Ce type de ENDS permettent d’assumer par voie respiratoire des quantité encore plus fortes, puissantes et concentrées de nicotine que pour une cigarette traditionnelle, mais il est très fréquent que les jeunes passent ensuite de ces produits à d’autres produits du tabac, notamment entretenant des consommations multiples. Les risques que ces produits présentes par rapport à l’entrée en consommation des jeunes et au développement d’une forte dépendance à la nicotine sont réels et graves. Les politiques de santé publiques doivent être revue de manière urgente afin de remmener le focus sur une approche par produits. Le tabagisme provoque plus de la moitié de tous les coûts sociaux liés aux addictions en Suisse : les ENDS jetables constituent une nouvelle porte d’entrée dans le tabagisme qu’il est urgent de fermer avant que cela ne soit trop tard pour notre jeunesse.

Alors que les experts de santé publiques discutent encore sur des risques et potentiels théoriques de ces produits, les ENDS jetables ont déjà conquis les jeunes, et parfois les très jeunes. Il suffit de se promener près d’une école pour s’en rendre compte ou de regarder sur les médias sociaux. Il faut enfin ouvrir les yeux et agir.