- 13.08.2024
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Philip Morris manipule la science et élabore des campagnes publicitaires visant à influencer les politiques
Dans une enquête récente du Bureau of Investigative Journalism, Shiro Konuma, un lanceur d'alerte ex-employé de Philip Morris International (PMI), révèle que la science est à vendre.
Shiro Konuma, ancien salarié de PMI, a en effet divulgué que l'entreprise avait rétribué des professeurs d'université et des sociétés de conseil au Japon afin d'obtenir des avis scientifiques favorables dans le but de présenter l'IQOS de PMI comme une alternative plus sûre aux cigarettes traditionnelles, et ce en dépit d'éléments de preuve douteux. Les manœuvres de PMI s'inscrivaient dans le cadre d'une stratégie visant à obtenir une réduction des taux d'imposition applicables à l'IQOS au Japon. M. Konuma, qui s'est illustré auparavant en tant que médecin et diplomate dans la lutte contre le paludisme, le virus Ebola et le sida, a critiqué les IQOS. « Ils ne réduisent pas les effets nocifs », a-t-il déclaré à propos des IQOS. « Ils ne réduisent pas les risques pour la santé. Ils ne réduisent pas la mortalité. Il n’y a pas de preuves. »
Antécédents de manipulation
L’industrie du tabac influence depuis longtemps le débat scientifique sur le tabagisme et la santé. Elle recourt à toute une série de tactiques pour détourner les preuves en sa faveur, notamment en influençant la manière dont les études scientifiques sont réalisées et publiées. Dans les années 1950, des recherches indépendantes ont commencé à établir de manière incontestable le lien existant entre tabagisme et cancer. En réaction, l'industrie du tabac, et notamment PMI, a mis en œuvre diverses stratégies pour que les gens continuent à utiliser ses produits et contrarier les efforts déployés en matière de santé publique. Ces stratégies consistaient entre autres à faire obstacle à la réglementation, en l'affaiblissant ou en temporisant, ainsi qu'à saper les lois existantes. Parmi les exemples notables, citons la création par PMI, en 1953, du Comité de Recherche de l’Industrie du Tabac, dont le but est de jeter le doute sur la science légitime. Cette tactique consistant à se prétendre objective et soucieuse de la santé des consommateurs est toujours d’actualité aujourd’hui, puisque l'industrie du tabac opère par l'intermédiaire de groupes de façade et autres tierces parties. D'autres études montrent que PMI se présente comme un sponsor bienveillant et dissimule son implication afin d'accroître sa crédibilité. Par l'intermédiaire de la Fondation pour un monde sans fumée, aujourd’hui rebaptisée Global Action to End Smoking, PMI finance des recherches qui appuient ses produits tout en ayant l’apparence d’études indépendantes. Ceci reflète l'influence que l'industrie du tabac exerce de longue date sur la recherche scientifique afin de dissimuler les effets néfastes de ses produits. Les efforts qu'elle déploie actuellement sont particulièrement axés sur la promotion des produits du tabac chauffés, instillant le doute quant à leurs risques et présentant les solutions qu'elle propose comme bénéfiques, afin de s’attirer la confiance du public et entraver les véritables mesures de santé publique.
Légende : La Fondation pour un monde sans fumée de PMI a changé de nom pour devenir la Global Action to End Smoking, se dotant d'un nouveau logo, d'un nouveau site web et d'images et de vidéos Shutterstock accrocheuses.
La « Swiss Connection » : l’affaire de Zurich
Cette manipulation s'étend au-delà des frontières du Japon, avec des exemples récents en Suisse. En 2014, l'Université de Zurich a publié une étude concluant qu'il n'était pas démontré que les emballages neutres réduisent la consommation. Et ce, malgré un large consensus scientifique et les observations de l'OMS partout où cette mesure a été introduite attestant, au contraire, de l'efficacité des emballages neutres. Cette étude a été entièrement financée par PMI pour un montant dépassant les 100,000 francs suisses. Ce n’est que l’année dernière, en 2023, que l’on a découvert l’implication de PMI dans les études menées par la prestigieuse ETH Zurich, dont trois des auteurs principaux travaillaient en fait pour PMI. Une enquête plus approfondie a révélé que PMI avait contribué au financement de la recherche scientifique à hauteur d’un million de francs suisses. Cette affaire met en évidence la manière dont PMI continue d'influencer la recherche scientifique à l'échelle mondiale, dans le but de fausser les résultats en faveur de ses produits, s’efforçant vraisemblablement de tromper à la fois les instances chargées de la réglementation et le public.
Campagnes publicitaires : une stratégie plus vaste
Les stratégies de PMI ne se limitent pas à manipuler la recherche scientifique, elles impliquent également des campagnes publicitaires. En effet, comment le public pourrait-il être informé des recherches que l’entreprise finance si elle n'en faisait pas la publicité dans les journaux, les magazines ou encore en ligne ?
Une étude récente d’AT Suisse publiée dans la revue Tobacco Prevention & Cessation dévoile comment les campagnes publicitaires de PMI ont été lancées en fonction des principales sessions parlementaires tenues en Suisse. En un an, PMI a dépensé près de 6,5 millions de francs suisses rien que pour la publicité imprimée. Elle a notamment financé des publicités qui présentent l'IQOS comme une alternative plus saine, dans le but de façonner la perception du produit qu'ont les consommateurs et, plus important encore, les responsables politiques. Si l’entreprise parvient à convaincre les gens que ses produits sont moins nocifs que les cigarettes, par exemple, elle peut échapper à une réglementation plus stricte, et bénéficier notamment d'un taux d'imposition plus faible, comme c'était le cas au Japon avant que Shiro Konuma ne donne l'alerte.
Légende : Publicité PMI pour l’IQOS dans le Luzerner Zeitung : « Aujourd'hui, des alternatives existent sans combustion et sans fumée », 05 mars 2021.
Actuellement, en Suisse, l'IQOS fait effectivement partie d'une catégorie distincte de celle des cigarettes traditionnelles dans la loi sur les produits du tabac qui entrera bientôt en vigueur, et bénéficie ainsi d'une taxation de 12 % seulement, contre 54 % pour les cigarettes traditionnelles (ce qui est déjà en deçà des recommandations de l’OMS). Grâce à des études manipulées et à des campagnes publicitaires mettant en avant la « moindre nocivité » de ses IQOS, PMI cherche à s'assurer que ce taux de taxation réduit sera maintenu.
Peut-on faire confiance à PMI ?
La question reste posée : peut-on faire confiance aux allégations de PMI qui prétend offrir une « alternative plus saine » ? Interrogé sur les recherches menées par PMI au Japon, M. Konuma répond : « Absolument pas. Leurs travaux scientifiques ne sont pas fiables. »
Alors que législateurs et responsables de la santé publique sont aux prises avec ces révélations, une recherche transparente et indépendante est plus que jamais indispensable.
Les enquêtes menées par le Tobacco Control Research Group (TCRG) apportent de multiples preuves démontrant que PMI a manipulé la recherche scientifique au Japon à des fins lucratives. Lire l’article (en anglais) :
Pour plus de précisions sur l'analyse effectuée par AT Suisse des dépenses publicitaires de PMI, accédez à l'article complet ici (en anglais) :